LA HAUTE NOTE JAUNE
Un revolver Lefaucheux 7mm en bronze à la main, le même calibre avec lequel Van Gogh a pulvérisé la peinture, celui-là même avec lequel il a mis fin à ses jours un dimanche d’été 1890, moi Valota, en plein cœur de Juillet 2017, je suis rentré pour la première fois par effraction dans la maison jaune, dans sa chambre jaune, à la recherche de mon modèle.
Vincent m’attendait ! Sa chaise en paille aussi, ses godillots, près du petit lit cadmium, la table dorée de tournesols était en feu ... tous m’attendaient pour m’inspirer «la haute note jaune».
Feu, flamme, cire, bronze, huile, émail ; tableaux, sculptures, céramiques, dessins, vidéos ... je travaille sur cette série depuis 2017.
Un Face à face VINCENT/ VALOTA, filiation d’artistes, transmission de la couleur, prolongation d’expressions, inventions ...
à la recherche de la HAUTE NOTE JAUNE !
LA NUIT ETOILEE
JAUNE VALOTA
Peut-on être amoureux d’une couleur ? L’embrasser, l’étreindre, la pétrir comme le corps de la femme aimée, s’y perdre à y mourir ? Peut-on s’en éblouir comme d’une apparition céleste ? S’y aveugler avec bonheur ? La brutaliser un instant pour l’adorer à genoux l’instant suivant ? Patrice Valota dispute son jaune à Van Gogh avec une jalousie aussi intense que celle du noir Othello pour la blanche Desdémone. Jaune, noir, blanc, le défi hisse les couleurs avec une arme singulière, la cire. Valota travaille à la cire, une matière vivante, dangereuse, charnelle Et on imagine sans peine que, plus d’une fois, il a du s’y brûler comme Van Gogh qui, pour l’amour d’une de ses cousines, garda la main au-dessus d’une bougie allumée pour montrer sa résistance à la souffrance, sa capacité à endurer, à être dur au mal. Peut-être aussi pour que sa douleur s’incarne. Comme l’écrivait Antonin Artaud, « On peut parler de la bonne santé mentale de Van Gogh qui, dans toute sa vie, ne s’est fait cuire qu’une main et n’a pas fait plus, pour le reste, que de se trancher une fois l’oreille gauche ».
La « folie » de Van Gogh, c’était de vouloir peindre, faire corps avec la peinture, abolir la distance entre l’œuvre et l’artiste et n’être plus qu’un paysage, une terre, un ciel, une nuit, un rien. Ses toiles témoignent de son acharnement à atteindre ce but ; à trouver par la forme, la couleur, la lumière ce que le mystique atteint par l’extase. Valota s’engage sur la même voie avec le courage, peut-être l’inconscience, d’un Icare aux ailes de cire voulant regarder le soleil en face. Son jaune est un monde en soi, avec ses êtres sortis du néant comme des clowns ou des dieux, sa géographie faite de rivières d’or et de montagnes sacrées, sa chair devenue lave solaire pour échapper à la condition humaine, ses tournesols comme des yeux arrachés. Et lorsque Van Gogh apparaît il disparaît aussitôt sous un masque de cire, emporté à son tour par le torrent qui traverse les œuvres de Patrice Valota. Le rio amarillo…
Le travail de Patrice Valota part de celui de Van Gogh mais ce n’est qu’un point de départ, pas un pré qu’il clôturerait d’analyses ou de commentaires. Son jaune est un cercle de feu que l’artiste doit traverser pour rejoindre Van Gogh au plus secret de la couleur, de la lumière incandescente produite par la cire chauffée au maximum. Valota ne confronte pas ses œuvres à celle de Van Gogh ; elles ne sont que des signes. Ce qu’il cherche est bien plus risqué et plus audacieux, c’est retrouver par le geste ce qu’a pu être celui de Van Gogh, retrouver son énergie créatrice quitte à en être dévoré. Entre eux, c’est à la vie à la mort. Valota ne s’empare pas seulement des images pour les apprivoiser ou les détruire. Il confisque les objets : la chaise, le révolver, les chaussures… comme si le cadre classique du tableau était décidément trop étroit, trop borné. Où, plus exactement, comme s’il fallait arracher au cadre la matière vivante qu’il entend contenir, cadrer, garder prisonnière. Van Gogh ne cadrait pas avec l’ordre bourgeois de la représentation à toutes et à tous ; ses toiles - même étouffées par le marché de l’art -, demeurent inacceptables de vérité, pures des souillures marchandes. Son oeuvre déborde, ruisselle, inonde le petit monde pour soi de la bien pensance et de l’ordre moral. Valota ne cherche pas à retenir Van Gogh au nom du bon goût, de la politesse et des bonnes manières. Il n’essaye pas non plus de le remettre dans le droit chemin, de le rendre fréquentable. Au contraire, il lui ouvre de nouvelles voies à coups de truelle, de brosses semblables à des flambeaux, de couteaux, de rasoirs, d’une surenchère de liberté. Valota travaille Van Gogh sur le fil périlleux de l’insurrection par la couleur. Le jaune proteste et flambe. Il se fait alors drapeau rouge ou drapeau noir. Ne rien s’interdire, tout oser : peinture, sculpture, gravure, dessin, graffiti… tout y passe dans un élan ou la fureur se dispute à l’envie. Travailler à la cire, c’est jouer avec le feu. Jouer avec l’épaisseur du temps. Jouer à un deux trois soleil… pour fixer l’instant fatal où la toile prend. Où sa vérité devient une évidence picturale.
Dans Les amours jaunes, Tristan Corbière écrivait
J’ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler. – J’ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient parade bouffes ;
Des merles noirs en regardaient briller.
Les œuvres de Patrice Valota sont toutes entières de soleil dur et comme chez Corbière elles soleillent, elles ferraillent, paradent et brillent jaunes et noires comme la mélancolie. Il y avait le vert Véronèse, le bleu Klein, il y aura désormais le jaune Valota.
Gérard Mordillat